LE QUOTIDIEN COMME VIE SPIRITUELLE
"
La couleur pourpre " est une expérience à part, complètement
sous-estimée par le public et souvent mal comprise par la critique. Dès
lors qu'il s'agit de Spielberg, désormais, un film n'est plus considéré
comme normal. Qu'un " blanc " réalise un film de " noirs " choque.
Qu'il affirme faire " un film adulte sans effets spéciaux " surprend.
Pourtant, après le second Indiana Jones qui lui laisse un goût
d'insatisfaction, le cinéaste cherche un sujet fort et un tournage
différent. Avec 12 acteurs au centre de l'histoire, il a l'impression
de diriger une troupe de théâtre. 12 acteurs dont une petite nouvelle
nommée Whoopi Goldberg (sensationnelle !), une future star de la TV
(Oprah Winfrey avant ses régimes populaires) et une chanteuse (Margaret
Avery remplaçant Tina Turner, qui a boudé le rôle). C'est même son
premier film sans effets spéciaux.
C'est son associée d'Amblin,
Kathleen Kennedy, qui lui faire lire le livre, qui lui parle
immédiatement. Il voit cette histoire de femmes (il a 3 sœurs), cette
description des relations entre les deux sexes, les émotions qui en
découlent. Il part à la rencontre de ces personnages, comme il
apportaient des aliens pour mieux refléter la personnalité de l'Homme.
Il y ajoute des couchers de soleils somptueux, des chants mélodieux (du
gospel " Sister " à celui des deux sœurs), et des femmes battantes,
meurtries, solidaires dans un univers mâle qui leur fait mal. Epique, "
La couleur pourpre " s'apparente à " RD3T", même si le mélodrame
remplace la science-fiction. Il y a là l'itinéraire d'une personne,
comme une initiation, une recherche absolue de son destin. Un peu comme
le robot-enfant de " A.I. ", elle va vouloir retrouver l'affection de
celle dont on l'a séparée. Le film pénètre profondément dans nos chairs
et nous fait verser quelques larmes. Elle supporte la souffrance parce
qu'elle sait qu'à un moment donné la foi croisera son chemin. Elle y
croit. D'ici là, elle devra apprendre à dire " non ", à sourire sans se
cacher les dents, à profiter un peu de la vie. Bouleversant, " La
couleur pourpre " est d'une rare justesse émotionnelle, portée par la
voix off suave et apaisée de Celie.
Produit par Quincy Jones, l'œuvre a reçu 11 nominations aux Oscars. Une
seule fut oubliée : celle de réalisateur. Personne ne semblait accepté
le tournant d'un faiseur de blockbusters. Au final, le comble fut
atteint. " Out of Africa " emporta 7 Oscars tandis que " The Color
purple " repartit bredouille. Le film rapporta deux fois moins
qu'Indiana Jones, mais à la vue du sujet, fut un gros succès. Spielberg
n'en prit pas ombrage. Il était parvenu à séduire un nouveau public,
plus adulte. A la même époque, il venait de lire " Schindler's list ",
reculait encore son remake de " A guy named Joe " et travaillait sur "
Empire of the Sun ", le troisième Indy et même " Hook ". C'est pourtant
ce film " féminin " qu'il avait choisi. Il a tellement été emballé par
le livre qu'il voulait le réaliser immédiatement. Il n'avait pas non
plus besoin de la reconnaissance. Deux de ses films avaient été de
grands succès critiques et la plupart ont trouvé écho auprès d'un large
public.
D'un point de vue technique, Spielberg l'a conçu comme un film
d'auteur. Pas de storyboards (à l'instar d' "E.T. "), beaucoup de
dialogues, pas d'action, de nombreux personnages, une violence
complètement effacée ou adoucie… et, bien évidemment, une figure
paternelle lâche et chauvine. Il est surtout imaginé comme une œuvre
universelle : il ne s'agit pas de faire une observation ethnique ou une
critique sociale. C'est ce qui gêne certains. " La couleur pourpre "
est un mélodrame humain à comparer avec " Autant en emporte le vent ",
pas avec un film sur les ghettos ou les conflits raciaux des années 60.
C'est surtout la première fois (et l'une des rares fois) où la femme
prend une réelle importance dans le cinéma de Spielberg (sinon, il
faudra attendre " Always " et " A.I. "). Il se rapproche davantage de
ses cinéastes de référence (Truffaut, Lean, Kurosawa) en pensant
réaliser une œuvre noble, par opposition à son étiquette de
fantaisiste. Il essaie surtout de s'imaginer un nouveau désir, de créer
ses nouvelles envies de cinéma. Car au bout de quinze ans, à peine, de
carrière, il a réalisé tous ses rêves, y compris le film de sa vie ("
E.T. "). Il faudra attendre " Schindler's list " (94), pour qu'il
s'accomplisse pleinement. " The Color Purple " n'en est que l'intro.
C'est aussi là que l'on constate son avance sur les autres. Pendant que
ses disciples (Zemeckis, Dante, Donner, Levinson) s'exercent à la
réalisation, lui amorce déjà sa seconde période, de loin la moins
aboutie. Mais il va définitivement régler ses comptes avec ses propres
Maîtres, pour mieux se libérer dès les années 90. Clairement, il
n'aurait pas réalisé " La couleur pourpre " avec autant de distance,
avec autant d'esthétisme, une décennie plus tard. Il rend merveilleux
l'horreur comme il le faisait pour " E.T. ". En fait, ce film est
labellisé Spielberg, des références à la culture populaire aux
personnages proches de son univers. C'est davantage une très belle
leçon de cinéma, et un travail d'équipe exceptionnel, qu'un film
simplement distant, bien rythmé et maniéré.
(source)
Je n'avais pas vingt ans lorsque j'ai vu ce film.
Je me souviens avoir beaucoup pleuré.
Pour avoir fait l'expérience de tout ce dont il est question dans cette histoire(amour, colère, joie, souffrance, courage, tristesse, foi, espoir, rêves), je me replonge aujourd'hui dans cette histoire avec une autre compréhension.